Le principe qui gouverne ma démarche est d’exacerber l’acuité du regard du spectateur, de mettre en jeu sa manière de regarder. J’essaye de le questionner sur ce qu’il voit et/ou ce qu’il croit voir. Rester toujours à la
limite du visible et de l’invisible.

Mon projet se développe par série, suivant des principes bien définit. C’est un travail que l’on peut qualifier «d’aveugle» parce qu’on ne sait pas ce que donnera le résultat. Il consiste à remplir systématiquement des surfaces de gris sous trois contraintes?:
• le geste : à chaque série, je le reproduit à l’identique avec la plus grande rigueur. Que ce soit en gravure ou à la main, un geste, un seul et le plus “mécanique” possible.
• le médium : encre, graphite, pigments, etc. Pour chaque série, le même medium est appliqué avec la même intensité.
• le support : papier(s), plâtre, bois, isorel, etc, jamais de changement de type de support pour une série.

Même si les mêmes formats sont remplis de façon délibérément machinale, ma main, mon geste provoquent inévitablement des irrégularités qu’une machine ne peut pas générer : j’utilise, en fait, ma limite d’être humain, la “human error”. C’est elle qui va “créer” d’une certaine façon l’oeuvre.

Sur le plan pratique, le support choisi, (qualités de papiers, platre, bois, etc.) exerce une grande influence sur la teinte du gris initial : un papier blanc chaud ne donnera pas le même monochrome gris qu’un papier ordinaire d’impression plus bleu à l’origine. Par exemple, dans mon projet «L’Atonie», le jeu sur les valeurs de gris est dominant. Il présente 44 formats A4, remplis à la main au crayon gris, juxtaposés bord à bord les uns aux autres. Les papiers ont été choisis de manière aléatoire. C’est cette hétérogénéité qui provoque les nuances de couleurs du gris.

Dans mon travail monochrome, la présence de la matière est importante. La matière est vivante. Même si mon geste est répété systématiquement, les variations qui existent entre chacune des surfaces sautent aux yeux. Il s’agit de montrer ce qu’on ne voit ou ce qu’on ne regarderait pas : le grain du papier, les plis, les gestes, les rayures, ou toute autres traces de vie du support ou celles de l’auteur du geste. Comme le dit Robert Ryman pour son travail : «il s’agit de rendre visible, l’invisible».